Vers 400, le christianisme est la religion officielle de l'empire. Le paganisme n'est pas liquidé pour autant. A Soupex comme partout, les dieux romano-celtiques restent vénérés par les paysans, les esclaves, les affranchis. On va déposer discrètement aux lieux de culte (autels isolés, sources) hors-la-loi : offrandes, monnaies, ex-votos, statuettes en bois, guirlandes de fleurs.
Dès les années 400, dans le Lauragais (et toute la Gaule), l'Empire se brise. La richissime élite gallo-romaine fuit les villes, les charges, l'administration, la politique et se retire dans ses terres. Face aux crises, elle se cristallise sur ses villae qui deviennent des lieux de pouvoir privé, coupés de Rome. A Soupex, le maître fortifie son domaine et s'offre une milice autant pour se défendre contre le brigandage ... que pour repousser les envoyés du fisc !
La villa gallo-romaine de Soupex, à 10 km de 5 stations de la Via Aquitania et sur une voie secondaire (sans péages!) de la vallée du Fresquel, est un lieu de rêve pour le commerce (blé, vin) durant la Pax Romana. Mais entre 407-416, pendant 10 ans, avec les ravages consécutifs aux va-et-vient des Barbares sur les axes routiers, elle devient un lieu de cauchemar, l'enfer.
The Gallo-Roman villa of Soupex, located 10 km from 5 stations of Via Aquitania and on a secondary way (without tolls!) of Fresquel Valley, is an ideal place for trade (wheat, wine) during the Pax Romana. But around 410 AD , with the back-and-forth of Barbarians on the roads, it becomes hell.
Fin 413 déferlent sur Narbonne 50 000 migrants Wisigoths – au physique, des Suédois – qui errent depuis 50 ans dans l'empire romain et qui viennent de brûler Rome (410). La région leur plaît beaucoup (climat, commerçants, vin, blé, routes). Des cavaliers pillards visitent les villas près de la Via Aquitania ; dans celle de Soupex, alors, on a dû dormir souvent le glaive sous l'oreiller...
Vers 415, les Wisigoths sont installés officiellement par Rome, comme fédérés, dans le Toulousain. Ils placent stratégiquement des garnisons dans le Lauragais, frontière avec la Gaule narbonnaise romaine. Un camp était proche de Soupex car il existe, à 5 mn au galop du château, un cimetière wisigothique (420-430?) avec 150 tombes encore à fouiller (INRAP, 2007).
In the years 412-417, the Visigoths were officially installed by Rome, as a tribe federated, in the Toulousain. They strategically placed small garrisons in Lauragais, border with the Roman Narbonese Gaul. A camp was near Soupex because there is, in 5 mn at a gallop of the castle, a visigoth cemetery (420-430 AD ?) with 150 tombs still non excavated (INRAP, 2007).
Vers 420, le maître de la villa reçoit la visite d'un convoi de Goths (guerriers, femmes, enfants) et d'un légat. Ce fonctionnaire de Rome vient lui expliquer que cette tribu possède désormais 1/3 du domaine, qu'elle est en droit d'y mettre ses 50 chariots en cercle et d'y établir son cantonnement définitif. "Au moins, se dit le maître, j'aurai la Pax Gothica dans le reste du domaine..."
A partir des années 420 et au moins jusqu'en 462, un petit camp wisigoth voisine la villa de Soupex : une garnison de cavaliers -- et leurs familles -- commandée par un « noble » (Vesi), parachuté propriétaire de terres. En échange de bons revenus agricoles, il a plusieurs missions : sécuriser les environs, surveiller cette zone-frontière de la cité de Toulouse, contrôler le trafic dans la vallée du Fresquel et, surtout, ne pas laisser les armes rouiller, rester sur le qui-vive car le roi peut mobiliser cette troupe n'importe quand.
Pendant 50 ans, le peuplement wisigothique de la cité de Toulouse s'arrête au Lauragais (face à la Narbonnaise romaine cadenassée par Carcassonne, prise seulement en 462). En petites tribus, les guerriers campent et vivotent au crochet des villas. A Soupex et partout, ces barbares inquiètent par leur langue bizarre (le gotique), leur foi (ariens) et le crâne très allongé de certains.
Vers 440, les liens avec la communauté wisigothe locale se normalisent. Du moment qu'ils touchent le 1/3 des revenus du domaine, ils font des efforts. Certes ces Goths sont spéciaux (leurs coutumes germaniques, leur soudure familio-tribale et ces barbes, ces fourrures) mais il est clair qu'ils essaient de se romaniser un peu, de singer les manières romaines... Sauf un, devenu le plus choquant de tous aux yeux du maître : leur prêtre anti-catholique.
Vers 460, la villa de Soupex connaît son extension maxi. Le bâtiment majeur de la pars urbana, construit à flanc de colline sur terrasse articielle, s'étend sur plus de 500 m2. Une galerie à portiques, au sud, fait face aux Pyrénées. Le jardin-cour, aménagé en terrasses et alimenté en eau par le captage de 3 sources, descend jusqu'à la rive du Fresquel. C'est une belle demeure sur un terroir plantureux... Or elle sera désertée d'ici peu ; on ne sait pourquoi.
Vers 460, le maître a l'honneur de recevoir qq jours le poète-grammairien Consentius, grand ami de l'évêque Sidonius Apollinarius. Au programme : discussions littéraires, exercices physiques, jeux de ballon, parties de dés, bains et bons repas. Mais aussi des visites commentées : la pars rustica (Consentius adore l'agriculture), la galerie d'art, l'église... et la bibliothèque avec la petite collection de livres précieux dont un codex de vers d'Ovidius.
Vers 460, cela fait un demi-siècle que les Wisigoths règnent. « Certes, dit le prêtre de Soupex, ils ne sont pas trinitaires donc ils sont dans l'erreur mais bon, ils sont baptisés et leur baptême est légal. Mais mon Dieu, pourquoi ne se convertissent-ils pas à la vraie foi ?». Pour garder leur ethnicité, ne pas être 100% Romains, rester différents. Et ces Barbares (et fiers de l'être) font même mieux (ou pire) : ils interdisent à quiconque d'adopter leur arianisme !
Parfois un groupe de cavaliers Goths, ayant quitté la Voie d’Aquitaine à Fines, En Calvet ou Pesquiès, vient faire halte à Soupex. Mieux vaut leur sourire devant la grande porte d’entrée. Bizarres avec leurs simples habits de peau (manteaux, hautes bottes) et leurs féériques boucles de ceinture. Mais ils ne dérangent pas trop : ils ne mangent que du pain et de l'ail, dorment près de leurs chevaux et repartent à l'aube. Si on ne les contrarie pas, en général, ça va.
Avant son brusque abandon fin Ve s., la villa est encore luxuriante vers 480. Entourée de vignobles, de champs de blé, d'oliveraies, la partie résidentielle orientée ouest-est fait ses 11 m de large (Inrap 2006) sur 60 m de long. A la façade sud, rythmée par de larges contreforts en briques, est accolée une galerie couverte desservant pas moins d'une vingtaine de pièces à vivre... Pourtant dans qq années tout ça ne sera plus qu'un amas de décombres...
Vers 480, les villas du Lauragais sont prospères. Leur blé nourrit Toulouse qui est une capitale royale rayonnante, une Rome miniature. Il faut dire que les Goths gouvernent efficacement l'administration romaine et qu'ils savent faire rentrer l'impôt. En allant le collecter eux-mêmes sur place. Et à Soupex par exemple, quand le percepteur paraît avec ses cavaliers poilus à l'air pas commode, le maître tire illico de son coffre blindé un joli sac de triens en or.
Fin Ve, après une ultime phase d'embellissement, la pars urbana de la villa est soudain définitivement délaissée. On la laisse tomber en ruine. Exit la villa "à la romaine". Crise agricole? Insupportable insécurité ? Extinction de la lignée ou partages familiaux ? Déménagement du maître vers Tolosa ? En tous cas, une rupture. Et toute l'exploitation du domaine à réorganiser...
Quid de la villa après le Ve s. ? Tout au long de l'empire romain, elle a régi l'occupation du sol et l'habitat. Certes, sa structure a évolué – la fermette coloniale du Ier s. s'est muée en un fastueux domaine avec nuée d'esclaves – mais elle est restée le centre du terroir. Or maintenant ses propriétaires la désinvestissent... Soupex mettra 5 siècles à retrouver une assiette stable.